Ah la sorcellerie, l’autre fléau de l’Afrique. Faut-il y croire?

Publié le par Prisca

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Récemment la presse sénégalaise rapportait le fait divers d’un supposé rétrécisseur de sexe lynché à Guinaw Rails par une foule en furie sans qu’aucune preuve tangible n’ait pu être établie contre lui. L’hystérie qui s’est emparée des badauds témoins de l’événement donne la mesure des excès auxquels se livrent parfois de façon inattendue des masses sans repères. Dans une Afrique encore sous l’emprise des mythes du passé, ces réactions populaires excessives aux allures de délires collectifs ont encore de beaux jours devant elles. Symptomatiques des résistances au changement, à la modernité, celles-ci traduisent cette part ambiguë des croyances et pratiques sociales érigées parfois en grille de lecture face à un présent incertain et complexe.
 
 
Kemet n’a pas engendré que la Maat. Devant les ravages de la sorcellerie, la vision d’une Afrique idyllique et pré-adamique ressemble davantage à une vue de l’esprit. De Pretoria à Lagos en passant par Kinshasa, Brazzaville, Cotonou, la rue africaine se fait régulièrement l’écho de récits aussi effroyables qu’invraisemblables sur les sorciers. Ces hommes et ces femmes, sous l’emprise de forces obscures, malfaisants, mangeurs nocturnes d’âme ou de chair humaine. On dit parfois qu’ils ont un « double maléfique » qui commettrait nuitamment leurs forfaits. En raison de leurs pouvoirs démoniaques supposés ou réels, les sorciers sont censés agir de façon positive ou négative sur leurs semblables. C’est en cela qu’ils sont craints. Et pour preuve, il suffit de se rendre dans les nouvelles églises charismatiques qui ont essaimé un peu partout en Afrique pour comprendre lé désarroi que ces supposés jeteurs de sorts provoquent chez de nombreuses personnes.
 
 
Il y a une vingtaine d’années, la rue congolaise colportait le récit effarant d’un groupe de sorciers qui auraient réussi à faire décoller de l’aéroport International Maya Maya un petit avion fabriqué avec du bois de brousse dénommé « Air Makanda ». Ce fut une grande première dans l’histoire de la sorcellerie africaine. Selon la rumeur, cet avion aurait même atterri à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle sous le regard médusé des « blancs » qui eurent du mal à identifier l’étrange oiseau nocturne. C’est à se demander si la scène se passe dans le monde invisible ou physique. Toujours est-il que le récit reste gravé dans la mémoire des congolais qui le racontent encore avec moult détails ahurissants. Mais il arrive parfois que les « histoires de sorciers » passent de l’anecdote croustillant à la réalité tragique. Dans une Afrique en perte de vitesse, les sorciers sont au banc des accusés.
 
 
J.P. a failli attenter à la vie de son père en apprenant par la bouche d’un guérisseur que ce dernier était à l’origine de ses échecs professionnels et de la mort de sa mère décédée des suites d’une psychose inconnue. L’envoûtement supposé de son mari atteint d’un mal incurable a conduit Marie L. à prendre des distances avec sa belle famille. Pour s’être retrouvé un jour nez à nez avec un serpent alors qu’il conduisait, Mboulamatari, chauffeur de taxi de son état, a décidé de mettre le feu au domicile de son géniteur. Tout aussi bouleversant l’histoire de ce jeune homme qui a renié ses parents après la disparition brutale de sa sœur cadette dans des circonstances mystérieuses. Si les victimes des sorciers sont souvent des enfants, ceux-ci deviennent eux-mêmes parfois l’objet de suspicions de la part de leurs propres familles qui les rendent responsables de toutes sortes de maux (décès, deuil, divorce, accident, pauvreté..). A l’image des enfants sorciers en RDC (République démocratique du Congo). Ainsi de nombreux conflits familiaux naissent chaque jour en Afrique à cause de la sorcellerie supposée ou réelle d’un proche.
 
 
Phénomène redouté, la sorcellerie est l’objet de toutes sortes de spéculations. Certains vont jusqu’à croire à une sorcellerie positive : pourquoi les sorciers d’Afrique ne mettent-ils pas leur pouvoir au service du développement du Continent au lieu de s’en prendre à leurs -semblables ? « Les sorciers naissent pour nuire et non pour faire le bien », rétorque sèchement, Lydia, adepte et membre actif des nouvelles églises. Les sorciers, poursuit-elle, ne savent faire autre chose que le mal. Ils ne sont capables de rien d’autre. « La sorcellerie », explique t-elle encore, « est une forme de pathologie morbide compulsive qui pousse l’individu maléfique à projeter le mal qui le ronge sur les personnes vulnérables. C’est pourquoi ces derniers, pour s’en débarrasser, doivent recourir aux services d’un guérisseur ».
 
 
Autant dire que les défis africains du XXI ème siècle sont nombreux et incalculables. La sorcellerie tout comme les néo-églises en font partie. La Maat étant incompatible avec celles-ci, le combat pour la renaissance africaine ne doit pas se soustraire à la dénonciation des pratiques qui demeurent autant de freins à l’émergence d’un Continent nouveau.

Publié dans Faits de société

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